Rapport de déplacement a Istanbul
14 octobre 2022 2024-08-21 11:29Rapport de déplacement a Istanbul
Rapport de déplacement a Istanbul
Mardi 04 Octobre 2022
Dossier : Procès OHD – 04.10.2022Objectifs de la mission :
- Être témoins du déroulement des audiences ;
- Défendre les principes fondamentaux de la profession, notamment la liberté de la défense et le respect du procès équitable.
Le dossier OHD
Ce dossier concerne notamment des avocats membres de l’équipe de défense du procès « ASRIN », membres de l’association des avocats pour la liberté (OHD) qui milite pour une justice indépendante, les libertés, le respect des lois et des conventions internationales ratifiées par la Turquie et pour dénoncer les dysfonctionnements de la justice turque, les conditions de détention, les massacres de populations civiles, les violences et les atteintes à la dignité humaine, ainsi que la répression systématique du peuple kurde.
52 accusés sont ainsi poursuivis devant la 14ème chambre de la Cour de Çaglayan à Istanbul, dont 40 avocats. 12 d’entre eux font partie de l’équipe de défense du procès dit « ASRIN » notamment Ramazan DEMIR et Ayse ACINIKLI, interpellés en mars 2016 et détenus 5 mois du 6 avril au 7 septembre 2016.
Il est également reproché aux avocats de travailler avec des membres de l’association THUAD-FED (Fédération des associations des familles ou proches de condamnés ou détenus) Cette association, comme l’OHD ou le CHD, est considérée comme terroriste, ses membres l’étant donc par voie de conséquence. Il faut rappeler que 300 associations ont été interdites par décret en 2016. En outre, dans ce dossier OHD, notre confrère Ramazan DEMIR se voit reprocher une :
inculpation supplémentaire de « propagande terroriste » pour :
– avoir publié sur Facebook des décisions rendues par la CEDH condamnant l’État turc pour violation des Droits de l’Homme en réponse à des requêtes qu’il avait déposées dans diverses affaires ;
– avoir participé à la manifestation du parc GEZI contre la destruction du parc pour y construire un ensemble immobilier et publié sur Facebook des photos de cette manifestation ; et
– avoir protesté contre le couvre-feu imposé dans le sud de la Turquie – notamment en région kurde – et les graves conséquences qui s’en sont suivies pour la population.
Les poursuites engagées contre certains confrères dans le cadre du dossier dit « Propaganda » ont fait l’objet d’une jonction avec ce dossier « OHD ». Plus aucun mis en cause n’est détenu dans cette affaire, nos Confrères Ramazan DEMIR et Ayçe ACINIKLI ayant été les derniers détenus.
a) Précédentes audiences
Les précédentes audiences dans cette affaire étaient les suivantes :
– Audience du 26 octobre 2021 : jonction du dossier de notre confrère Tamer DOǦAN, poursuivi pour propagande terroriste. Renvoi à l’audience du 1er février 2022.
– Audience du 1 er février 2022 : audition de notre Confrère Tamer DOǦAN. Renvoi à l’audience du 25 mai pour réquisitoire définitif du parquet et plaidoiries de la défense.
Audience du 25 mai 2022
Renvoi à l’audience du 4 octobre 2022 pour communication des réquisitions du parquet (au moins 15 jours avant l’audience) et plaidoiries au fond.
En amont de l’audience du 4 octobre 2022, nos Confrères nous ont informés qu’un nouveau témoin venait d’informer le tribunal de sa volonté de témoigner dans cette affaire. Son témoignage incriminerait certains de nos confrères poursuivis.
Ce témoin a effectué une déposition écrite à destination du tribunal, puis a disparu.
La procédure exige que le tribunal invite le témoin à déposer à la barre par deux courriers au moins (séparés d’une période de 15 jours), et prévoit que dans le cas où ceux-ci demeureraient sans réponse, le tribunal peut le convoquer formellement avec obligation de comparaître.
Il apparaîtrait en l’espèce que le tribunal a envoyé un premier courrier au témoin, mais que celui-ci soit revenu avec la mention « destinataire inconnu à l’adresse indiquée ». Après recherches complémentaires, il semblerait que l’adresse soit occupée par une femme ayant indiqué que le précédent locataire était parti et qu’elle ignorait sa nouvelle adresse.
Nos Confrères nous ont informés qu’il était fréquent que le parquet sollicite des témoignages de personnes détenues en échange de remise en liberté et/ou de remise de peine afin de renforcer l’accusation. Il est possible qu’il en soit ainsi pour le cas de ce nouveau témoin.
Nos Confrères nous ont également précisé que le défaut de comparution du témoin n’empêchait pas le tribunal d’utiliser la déposition de ce témoin comme élément de preuve à charge, en dépit de toute possibilité pour la défense d’interroger le témoin à la barre.
Nos Confrères ont ajouté que les démarches nécessaires à la comparution de ce nouveau témoin causeraient de manière très vraisemblable un nouveau renvoi, à plus forte raison dans la mesure où le Parquet ne leur a pas communiqué ses réquisitions en amont de l’audience, comme cela est requis. Nos confrères nous ont ainsi prévenus que le renvoi de l’affaire serait très probablement ordonné à l’audience du 5 octobre et qu’une présence symbolique de Confrères étrangers était suffisante.
Ces audiences demeurent toutefois imprévisibles, comme l’a démontré une précédente audience dans le dossier CHD au cours de laquelle le président avait enjoint au procureur de préparer ses réquisitions pour le lendemain et la défense de préparer sa plaidoirie. Le président avait finalement prononcé de lourdes peines à l’égard de plusieurs Confrères lors de l’audience du lendemain…
b. Déroulement de l’audience du 4 octobre 2022
Nos confrères nous ont confirmé que le réquisitoire définitif du Parquet n’avait pas été transmis dans les délais et que la défense pouvait ainsi dans tous les cas formuler une nouvelle demande de renvoi.
Le Tribunal, en formation collégiale, était composé de trois magistrats et du même président que lors de la précédente audience.
Ce dernier a succédé au juge Akin GÜRLEK, nommé Ministre adjoint de la justice par décret du 2 juin 2022. Ce président était précédemment l’un des assesseurs dans la formation présidée par Akin GÜRLEK.
Deux Confrères mis en cause étaient présents, dont Ramazan DEMIR. Douze d’avocats de la défense étaient également présents. Un Confrère de la défense a pris la parole en premier et a expliqué que certains accusés s’étaient vu notifier de nouvelles décisions de poursuite et que la jonction de ces dossiers avec la procédure en cours était nécessaire.
Le Procureur a ensuite pris la parole et a expliqué que de nouveaux documents avaient été ajoutés au dossier de la procédure et qu’il sollicitait en conséquence un renvoi pour les analyser.
Un Confrère de la défense a ensuite pris la parole. Il a évoqué un autre dossier dans lequel le procureur avait estimé que les déclarations du nouveau témoin de la présente affaire ne devaient pas être prises en compte car celui-ci accusait Ayse ACINIKLI et Hussain BOGATEKIN d’avoir commis certains actes en leur qualité d’avocat, alors même qu’Hussain BOGATEKIN n’était pas encore avocat à la période évoquée par le témoin.
Notre Confrère a évoqué deux autres témoins que la défense souhaitait entendre, dont un ancien client de notre Consœur Ayse ACINIKLI ayant tenu des propos incriminant à son encontre.
Le tribunal s’était toutefois précédemment déjà opposé à ces auditions. Notre Confrère a également rappelé que parmi les policiers et procureurs ayant travaillé sur le dossier OHD, un certain nombre avaient été arrêtés et condamnés.
Notre Confrère a en conséquence sollicité que le tribunal communique les noms de ceux ayant été condamnés pour production de faux documents. Notre Confrère a enfin demandé au tribunal de lever le contrôle judiciaire de l’ensemble des accusés. Une autre Consœur a ensuite pris la parole. Elle a expliqué qu’elle était d’accord avec son Confrère et a communiqué la liste des avocats étrangers présents à l’audience au président. Celui-ci a toutefois refusé de prendre la liste en expliquant que cela n’avait rien à voir avec le dossier.
Notre Consœur a poursuivi en expliquant qu’une décision de non-lieu, devenue définitive, avait été prise dans l’autre affaire dans laquelle le nouveau témoin était intervenu, et qu’on ne pouvait donc pas donner de crédit à cette nouvelle déposition dans le procès en cours.
Notre Consœur a ensuite évoqué le fond de l’affaire en expliquant que les avocats étaient poursuivis pour l’exercice de leur profession, et qu’il était en conséquence nécessaire pour le parquet d’obtenir l’autorisation du ministre de la Justice et du Bâtonnier avant d’initier des poursuites à leur encontre. Le procureur a estimé au contraire que les actes poursuivis. n’avaient rien à voir avec leur métier d’avocat et qu’il n’était en conséquence pas nécessaire de demander cette autorisation. Notre Consœur a ensuite contesté la légalité des écoutes téléphonique effectuées dans ce dossier. Elle a indiqué que les écoutes téléphoniques ne peuvent pas concerner des échanges entre avocats.
Elle a ajouté que les accusés devaient pouvoir être entendus à nouveau concernant les déclarations du nouveau témoin. Un autre avocat de la défense a ensuite pris la parole.
Il a expliqué que ses Confrères n’avaient fait que leur travail et que les écoutes téléphoniques étaient illégales. Il a déclaré qu’il s’agissait d’une affaire strictement politique dont l’objectif était de causer du tort à l’association d’aide aux détenus THUAD-FED. L’ensemble des avocats de la défense restants ont ensuite pris la parole tour à tour pour dire un court mot.
Le tribunal s’est retiré pour délibérer à 10h45. Il est revenu à 11h09. Le tribunal a décidé de maintenir les mesures de contrôle judiciaire à l’encontre des accusés et de renvoyer l’affaire à l’audience du 18 janvier 2023 pour que les autres dossiers contre les accusés soient versés à la procédure et que soit procédé à l’audition des deux témoins visés par la défense.
Notre Confrère Ramazan DEMIR nous a également informés que la procédure disciplinaire à son encontre était toujours en cours, mais que les nouvelles élections du Barreau dans deux semaines pourraient avoir une influence sur leur poursuite.
3. Visite de notre Confrère Selçuk KOZAGACLI en détention au centre de haute sécurité de SILIVRI Le lundi 3 octobre, nous nous sommes rendus (trois avocats français et une Consœur turque) au centre pénitentiaire de haute sécurité de SILIVRI, à 1h30 en transport à l’ouest d’Istanbul, afin d’échanger avec notre Confrère Selçuk KOZAGACLI, président du CHD actuellement détenu.
Nous avons ensuite pu échanger approximativement 1h30 avec notre Confrère (en deux passages, chaque avocat turc ne pouvant se rendre au parloir avocats qu’avec deux avocats étrangers au maximum.
Il nous a indiqué qu’il était en détention depuis 1780 jours (soit approximativement 5 années) et qu’il avait lu durant sa période de détention pas moins de 1810 livres (soit approximativement 400 pages par jour).
Il a également écrit un livre, qui est en voie de finalisation. Il a par ailleurs eu approximativement 3200 visites de 900 avocats différents.
Notre Confrère nous a informé qu’il travaillait actuellement à sa défense en prévision de l’audience devant se tenir des 7 au 11 novembre, et qu’il s’était donné jusqu’au 1er novembre afin de terminer sa plaidoirie. Il sera donc disponible après cette date pour des visites éventuelles avant le procès CHD.
En dépit de la décision de la Cour suprême de casser sa condamnation pour « direction d’une entreprise terroriste » (la Cour suprême ayant enjoint à la juridiction inférieure de requalifier cette infraction en « appartenance à une organisation terroriste »), notre Confrère bénéficie du statut des détenus condamnés et peut donc également recevoir des visites le weekend.
La Cour suprême a appliqué le même raisonnement concernant nos Consoeurs Barkin et Ebru TIMTIK, mais a maintenu la qualification de « direction d’une entreprise terroriste » pour notre Consoeur Oya ASLAN – en détention provisoire depuis trois années – qui encourt ainsi une peine minimale de 18,5 années de réclusion criminelle.
Notre Confrère a également indiqué que l’ensemble des demandes de la défense tenant à la procédure (nullité, etc.) seront envoyées au tribunal en amont de l’audience afin que celui-ci puisse traiter ces points en début d’audience, et que le reste des débats soit consacré à la parole des accusés et de leurs avocats.
A ce titre, notre Confrère entend profiter des cinq jours prévus pour l’audience pour s’exprimer longuement. Notre Confrère considère que ce procès est historique et qu’il est important que le plus grand nombre d’observateurs soient présents.
Le procès de l’ancien Bâtonnier d’Ankara (et actuel président de l’Union des Barreaux de Turquie) se déroulant la même semaine, le mercredi, notre Confrère espère que les délégations présentes à ce procès pourront ensuite assister au procès des avocats du CHD à SILIVRI.
Notre Confrère nous a informé que 5000 avocats figuraient sur la liste des avocats de la défense et que 37 procureurs et 42 juges s’étaient succédé dans ce dossier emblématique, un certain nombre d’entre eux étant aujourd’hui à leur tour détenu.
En conclusion
Une délégation importante de confrères étrangers et notamment du Barreau de Grenoble semble utile et nécessaire lors des 5 jours d’audience du procès CHD du 7 au 11 novembre 2022.
Dans le cadre du procès OHD, l’audience du 18 janvier 2023 risque fortement d’être une nouvelle audience de renvoi.
Notre Confrère nous a informé que 5000 avocats figuraient sur la liste des avocats de la défense et que 37 procureurs et 42 juges s’étaient succédé dans ce dossier emblématique, un certain nombre d’entre eux étant aujourd’hui à leurs tours détenus.
En conclusion, une délégation importante de confrères étrangers et notamment du Barreau de Grenoble semble utile et nécessaire lors des 5 jours d’audience du procès CHD du 7 au 11 novembre 2022.
Dans le cadre du procès OHD, l’audience du 18 janvier 2023 risque fortement d’être une nouvelle audience de renvoi.
Informations de contact
Institut des droits de l'homme du barreau de Grenoble - 45 rue Pierre Semard
38000 Grenoble
Téléphone : 04 76 43 34 55
Fax : 04 76 43 31 60 - Mail : idh.grenoble@gmail.com